Arrabbiata.

Il se trouve que dernièrement, j’ai beaucoup de mal à écrire sur ce pays que d’ordinaire je flagorne avec adoration et exagération, en considérant a priori comme irrecevable toute critique à son encontre, qu’elle soit construite, provocatrice, ou simplement trollesque. Et j’adore le faire, j’aime déifier l’Italie, je raffole de sa Dolce Vita, je me complais dans ses défaillances et parfois, souvent, contre toute attente, j’en redemande. Comme un amoureux à qui je pardonnerais tous ses défauts, trop aveuglée que je suis par mon amour passionnel envers l’Italie, je refuse ne serait-ce que l’éventualité qu’elle pourrait me décevoir.

Mais voilà, après quelques années en Italie, la colère remue mes sentiments transi-amoureux. Je ne trouve plus à lui pardonner. Je n’ai plus l’énergie de lui pardonner. Il ne s’agit pas de la colère qui a accompagné la défaite de l’Italie en finale contre l’Espagne, le penalty raté de Baggio en finale contre le Brésil, le but en or de Trezeguet. Non.

Je suis vraiment en colère.

En colère contre ce pays qu’on dit ingouvernable. Une génération entière jetée à la poubelle. Vingt années passées à offrir une place, des régions, des ministères à un Berlusconi délinquant et ses alliés d’extrême droite, à banaliser ses idées les plus abjectes, à transformer la télévision en réceptacle à Italiennes à poil.

Et là maintenant qu’il gît, le râle au bout du souffle, après avoir mis le pays à genoux, avoir menacé une nouvelle fois de tout faire éclater, pour finalement se raviser à la dernière seconde, histoire de ridiculiser un peu plus ce pays, qu’est-ce que les Italiens ont fait? Ils ont donné du pouvoir à un clown démago aux discours qui n’ont rien à envier aux extrémistes.

Je suis en colère.

En colère contre nous, les Italiens, qui ne sommes pas capables, en 2013, de voter une loi anti-homophobie, et ce, au nom de la “liberté d’expression”. Oui, tu as bien lu. Les Italiens veulent avoir tout le loisir de tabasser du pédé. Je pensais avoir tout lu et entendu lors du débat sur le mariage pour tous en France, c’était sans compter sur le coming-out homophobe de mes compatriotes italiens.

En colère contre nous, les Italiens, qui lançons des cris de singe dans les stades quand Mario Balotelli, un enfant de notre propre pays, touche le ballon. Ou des bananes à notre ministre de l’intégration Cecile Kyenge.

En colère contre nous, les Italiens, qui ne trouvons rien de mieux à faire que de poursuivre en justice les survivants de Lampedusa, coupables d’avoir survécu à l’horreur, coupables de ne pas être morts pendant la traversée. Parce que nous avons laissé des politiques voter le “délit de clandestinité”.

En colère contre nous, les Italiens, qui avons traversé les mers, les océans pendant des siècles, animés par le même espoir d’une vie meilleure et d’un futur joyeux et esclavagisons les survivants de la traversée pour ramasser nos tomates. C’est la rage qui me tord la gorge maintenant.

En colère contre nous, les Italiens, qui laissons pourrir notre jeunesse, qui tuons son enthousiasme, lui donnant les conditions de travail les plus précaires et les plus indignes d’un pays développé, en y insérant parfois des clauses de salaire maximum à 5.000 euros par an.

En colère contre nous, les Italiens, qui tuons à petit feu toutes les merveilles que l’Histoire nous a léguée, qui ne réalisons pas cette chance inouïe que nous avons de grandir et de vivre au milieu des signes les plus nobles de notre culture. Pompei a traversé les millénaires au rythme des éruptions du Vésuve, mais aujourd’hui c’est l’UE qui doit la sauver, elle ne survivrait pas aux Italiens du XXIe siècle.

Et je suis en colère, car je sais bien que tant que les Italiens auront du pain et la pasta sur la table, il ne se passera jamais rien dans ce pays, qu’il faudra des années et des années avant de voir les infimes changements positifs dans les mentalités et dans la société.

Oui, j’ai la rage. Une rage italienne. Une colère qui sue jusque dans notre cuisine. L’arrabbiata. L’enragée. Il n’y a vraiment que les Italiens pour cuisiner un sentiment. Les penne all’arrabbiata. Les pennes de la colère. Pour donner vraiment vie aux ingrédients. Pour leur donner un sens. Ça, je dois admettre que je ne pourrai jamais l’enlever aux Italiens. Au moins, ça, on sait le faire.

Comme pour me dire : pazienza, comme une vieille nonna qui me dirait “l’Italie finit toujours par s’en sortir, tu verras, on en a vu d’autres – mammamia, tu trouveras de nouvelles ressources pour lui pardonner. En attendant, mange tes pâtes.

C’est peut-etre meme bien par là qu’arrivera notre salut. Chissà.

Deux ou trois piments pour avoir une raison de devenir tout rouge – au cas où on n’en avait pas assez, coupés en rondelles, qu’on fait revenir avec une ou deux gousses d’ail dans de l’huile d’olive. Quand l’ail a coloré, tu retires les gousses et tu verses une boite de tomates pelées préalablement mixées ou émiettées dans ta poêle. Un peu de sel, un peu de poivre, ¼ d’heure à feu doux/moyen.

Puis des penne al dente, sautées dans la poêle.

Du pecorino romano. Ou du parmigiano reggiano, éventuellement, mais ne le dis pas aux Romains, tu vas nous les énerver encore plus.

Il parait que la réussite de ce plat dépend uniquement de l’ingrédient fondamental : le degré de colère de son cuisinier, et toutes les grossièretés qu’il va proférer.

Je crois que je vais pouvoir cuisiner la meilleure arrabbiata de ma vie.

Et buon appetito.
@flonot

[Article publié sur slate.fr]

Spaghetti del Mare alla Enzo Molinari

Enzo Molinari, je l’adore.

1988, « Le Grand Bleu », j’ai 7 ans, la France découvre la douceur et la poésie de l’Italie du Sud et les couleurs du tempérament sicilien de Enzo et sa famille.

Enzo est beau. Impulsif, excessif, sensible, fort, généreux, épicurien, égoïste, fragile, et affectueux. Il exagère, il recommence, il plonge, il revient, il caresse, il blesse, il regrette, il pardonne et se fait pardonner.

C’est Enzo, c’est le reflet caricaturé de l’Italien, comme on l’imagine, à tort et à raison, celui qui nous fascine et qui nous agace. Quand j’étais petite et qu’autour de moi on s’extasiait sur « Le Grand Bleu », je me disais dans mon for intérieur : « Oui, et Enzo, il est ITALIEN. Il pourrait être mon ONCLE. D’ailleurs, j’ai un oncle, il est comme ENZO ». Ma petite revanche personnelle sur la vie et les moqueries à base de tortue ninjas. Tout le monde voulait être comme Enzo, avoir son charisme, son rire, sa prestance, son allure.

Sa tchatche.

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Le Bordel de la Puttanesca.

Ah, les élections italiennes. Une sorte de gigantesque Commedia dell’Arte mais en version série Z, sans rires ni art, juste avec les mauvais acteurs, la mauvaise intrigue, et le mauvais dénouement. Un exercice démocratique au sujet duquel les Italiens se déchirent pendant des semaines, sans jamais débattre ni avancer une quelconque nouvelle idée ou solution. Ce sera à qui insultera l’autre le plus fort.

Ces insultes permanentes par médias interposés, cette démagogie et ce populisme oppressants, ce foutage de gueule quasi-impuni, tous les jours, partout. L’Italie qui d’ordinaire cultive si bien le bon goût, l’élégance, le raffinement, la culture, tous les jours, dans les moindres recoins de ses villes, villages, collines, montagnes et littoraux, qui aime s’extasier des choses les plus simples, une olive, une tomate, le soleil, une boule de pain, se métamorphose.

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Pasta Diva. Hai Del Sole Il Bel Calore.

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Il est fascinant ce coffre aux trésors, maintenant qu’on a trouvé la clef, toi et moi.

Et comme tous les trésors, on va le chérir, le défendre, l’aimer, lui pardonner quand il nous déçoit – si, ça peut arriver – l’encenser, et le célébrer en prenant exemple sur ces Italiens qui s’y emploient tous les jours, du nord au sud.

Où que tu ailles en Italie, les mammas – mais les italiens en général aussi – mettent le même amour, la même passion, la même rigueur à cuire la pasta et préparer des repas… dantesques. Pour eux, c’est un cadeau, une preuve d’affection, un réconfort pour la famiglia. Comme partout dans le monde probablement, quand il s’agit de cuisiner (sauf peut-être aux Pays-Bas, là-bas ils doivent prouver leur affection autrement que par la cuisine, mais passons). Mais ce que j’ai toujours trouvé fabuleux en Italie, que tu te trouves à Trento ou à Reggio di Calabria, que tu te balades à Torino ou à Lecce, que tous ces Italiens, qu’ils soient pauvres, riches, cultivés ou non, connus ou pas,  portent tous le même respect profond et éternel à la pasta.

Absolument tous.

Chacun d’entre eux.

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La Pasta. La Caccia al Tesoro.

Je réalise que je fais tout à l’envers. Je dois probablement penser que la situation n’est pas si désespérée que ça, et qu’au fond tu n’es pas une cause perdue. Parce qu’il y a certaines choses que – tout de même – je n’imaginais pas devoir expliquer, tant elles tombent sous le sens.

J’ai commencé à m’énerver – un peu, si peu – contre toi parce que tu faisais n’importe quoi avec la Carbonara alors qu’en fait, la situation est bien pire. BIEN BIEN PIRE. Un peu comme quand tu commences à gratter la croûte d’un gâteau brûlé pour essayer de récupérer la situation mais en réalité c’est irrécupérable. Tu le sais mais tu insistes, tu persistes, tu gardes toujours un peu espoir.
Je gratte, je gratouille, et là je découvre avec stupeur mais surtout avec effroi, que les pâtes, ben pour toi, c’est « toutes les mêmes ».

Longues, courtes, lisses, rayées, farcies, aux œufs, au blé dur,… toutes les mêmes ?

TOUTES LES MÊMES ?

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Il Pesto alla Genovese. La Fine del Mondo.

Il y a des choses que je ne comprendrai jamais.

Soit je suis très naïve, soit j’ai toujours foi en l’Humanité et je me voile la face. On va dire que j’ai toujours foi en l’Humanité, sinon je me serais d’ores et déjà complètement pendue avec un spaghetto (tu te souviens « un panino, deux panini« , ça marche avec « un spaghetto, deux spaghetti »).

Alors. Tu sais que j’aime bien quand les plats racontent une histoire. Leur histoire. Et les plats de pâtes Italiens ont tous une belle histoire à raconter. Ils ne sont pas nés comme ça, hop, du jour au lendemain, par l’opération du Saint-Esprit. Ils sont sans doute touchés par la grâce d’une puissance surnaturelle pour être aussi merveilleux et célestes – certes – mais ils viennent de quelque part.

Donc. Quand je te vois prendre ce petit bijou de basilic. Et mettre n’importe quoi dedans. Et le tartiner sur tout ce qui te passe sous la main. Ou noyer la pasta sous une flaque de bouillie verdâtre-marron. Et prétendre que c’est un pesto alla genovese. Je pense à tous ces marins de Genova, au XIXe siècle.  Tous ces ouvriers de la mer, se tuer à l’effort toute la journée, dans le bruit, dans le vacarme assourdissant des navires, dans la pauvreté, mais dans la gaité aussi. Les grosses tapes viriles sur les épaules brulées par le soleil, et la grande tablée en sueur où on se passe en chantant fort un énorme plat de pasta al pesto.

Genova.

Le port.

C’est comme ça que je l’imagine. Que j’aime l’imaginer.

Et je me dis que cette pasta, fort odorante du basilic de la riviera ligure, fumante, qui prend au nez, qui calme les faims les plus gargantuesques, ça devait être un sacré beau moment de répit. Comme cela devait être réjouissant dans une journée que pas un d’entre nous ne serait capable de subir aujourd’hui.

Peu de temps. Et peu d’argent. Mais des pâtes et du basilic cueilli par des petites mains dans la région. Du basilic perché sur les falaises et caressé par le vent marin de la Liguria – tra mare e monti. Parce qu’ils n’avaient quasiment que ça.

Un cadeau du ciel pour l’écume de la population.

Un tableau.

Et 200 ans après, je voue le même culte au pesto alla genovese.

Bien sûr, il pesto, c’est un plat où on peut mettre ce qu’on veut dedans au final. Il en existe autant qu’il y a de villages en Italie. On le fait avec ce que la terre veut bien faire pousser autour de nous. Pesto, du verbe pestare – écraser, piétiner. Alors, oui, effectivement, tu peux prendre du basilic et l’écrabouiller avec ce que tu veux. Mais tu n’as pas l’indécence déplacée de le présenter comme un pesto alla genovese, sinon ce sont les marins du port de Genova qui viendront hanter tes plus sombres cauchemars.

Je le sais, c’est moi qui te les enverrai.

Et maintenant. Devine quoi. Il pesto alla genovese. Non seulement c’est bon à en pleurer et à en croire l’existence de Dieu lui-même, mais en plus, c’est d’une simplicité… Mais d’une simplicité… Et d’une beauté… Comme si tu étais sur la via dell’amore, entre Riomaggiore et Manarola. Juste, . On n’est pas bien, posés là, à regarder la mer s’écraser contre les rochers ?

Tu aurais envie de manger un pesto alla genovese trahi et travesti… ici ?

BIEN SÛR QUE NON.

Donc on va le faire ensemble, toi et moi. Et tu verras, ce n’est que du bonheur à l’Italienne.

Pour un authentique pesto alla genovese, il te faut :

Petit a : Du basilic. En branches. Frais. Magnifique.

Petit b : Du gros sel marin. Ben oui.

Petit c : Des gousses d’ail.

Petit d : Du parmigiano reggiano et du pecorino stagionato (pour le râper)

Petit e : Des pignons qui sentent bon le pin.

Petit f : De l’huile d’olive extra vierge. Tu prends celle que tu veux, même si c’est évidemment perfetto si tu prends celle qui vient de notre belle Liguria.

Petit g : Des pâtes.

A Genova, les trofie et les trenette sont les pâtes de prédilection pour le pesto alla genovesela pasta tipica. Mais tu peux choisir des linguine, des bavette, des spaghetti aussi. Les trofie sont les seules pâtes courtes que je t’autorise. Il pesto est gorgé d’huile d’olive, il va mieux glisser sur la pasta lunga et être plus léger. C’est tellement meilleur.

Un truc pour que ton basilic garde bien sa couleur. Lave-le délicatement et plonge le dans un bain de glaçons, pour aider à fixer son joli vert.

C’est fragile, le basilic. Si tu le martyrises trop – genre dans un mixeur, il va perdre toutes ses bonnes choses, tu vas le GÂCHER.

ET JE N’AIME PAS, quand tu gâches ce que les marins avaient de plus précieux.

Et puis surtout, les lames agressives et méchantes du mixeur vont le chauffer, il va cuire, devenir sombre, mourir. Il pesto alla genovese, on le ne chauffe pas, on ne le cuit pas, on le verse directement sur les pâtes à peine égouttées.

C’est pour cette raison que tu vas utiliser un mortier en marbre.

Bon OK, si tu n’as pas un mortier en marbre comme les vieilles mamma de Genova, tu peux utiliser un mortier quelconque. Tu vois je suis sympa quand même. Tu effeuilles doucement le basilic et dans ton mortier tu mets le gros sel marin, l’ail, les pignons. Tu travailles tout ça avec amour à la force du poignet – en pensant aux marins qui ont besoin de réconfort – et petit à petit tu ajoutes l’huile d’olive par filet.

N’y passe pas des heures, plus tu travailles le basilic, moins il sera beau. Et tu veux qu’il soit beau. Tu seras tellement fier.

Puis tu mets ton parmigiano et ton pecorino. Ensemble. Sur la question du fromage, l’Italie t’accorde un peu de flexibilité. Tu peux remplacer le pecorino par de la ricotta tosta ou même du fromage de chèvre frais.

Et voilà.

Voilà, voilà.

C’est tout.

Si tu es malin, tu as même fait bouillir l’eau et tes pâtes sont prêtes quand tu as fini d’extraire du basilic toutes ses saveurs. Al dente. Tu verses directement sur les assiettes. C’est très parfumé, tu n’as pas besoin de noyer tes linguine. Juste les colorer. Tu décores avec quelques pignons de pin, une feuille de basilic frais. C’est rustique. C’est viril. C’est fin. C’est beau.

Tu chantes la Liguria.

C’est ma meilleure réponse à tous ceux que je vois faire des pâtes au ketchup parce que soi-disant c’est rapide.

Et c’est la fine del mondo. Quand tu manges un beau pesto alla genovese, la fin du monde peut bien arriver demain, tu peux partir en paix. Tranquille. Et plus tu regardes les vagues venir mourir sur les falaises de Manarola, plus tu as le visage caressé par le vent, comme le basilic,  et plus tu entends les marins chanter joyeusement, au loin.

Je les entends aussi.

Buon appetito.

@flonot

PS : Et pour faire plaisir à nos copains les marins, tu verses ce joli vin dans ton verre. Là, là c’est parfait. Grazie, Sand.

Il Ragù. L’Unico.

Tagliatelle al ragù

Comment te dire.

Je sais que ça va être difficile à entendre. J’ai beaucoup hésité.

Ce n’est peut être pas entièrement de ta faute. Mais il va falloir que je te le dise. Il faudra un peu de temps à t’en remettre. De la force et du courage. Mais tu t’en sortiras parce que je vais t’aider.

Tu sais le plat de pâtes que tu penses être le plat typiquement Italien ? Celui que tous les pseudos-restaurants Italiens te servent en France ? Celui que tu cuisines tout fier, en pensant à tes ancêtres Italiens – on en a tous – qui doivent te couver d’un œil bienveillant ?

Je te vois, là, gonflé d’orgueil quand tu le sers à table en te disant que tu fais honneur à la gastronomie de la Botte. Mais oui, tu sais bien…

… les “Spaghetti Bolognaise”.

Ou pire. Les “Spaghetti Bolo”.

Quand tu cuisines ça, tes ancêtres Italiens te tournent le dos en sanglotant, je te jure.

Je vais donc devoir sévir à nouveau. Mais gentiment cette fois. Je serai douce, c’est promis.

Parce que je me rends bien compte que ce que je vais t’annoncer est une nouvelle aussi retentissante que lorsque tu as appris que le Père-Noel était une invention des capitalistes.

Les “Spaghetti Bolognaise”…

…N’EXISTENT PAS.

Non, non.

Vas-y, je te laisse un peu de temps pour googler les meilleurs sites gastronomiques Italiens, tu ne trouveras aucune trace de tes “Spaghetti Bolo”, fais-moi confiance.

Je sais c’est dur d’être désemparé comme ça. C’est un vrai pilier de ta cuisine qui s’écroule là. Je t’ai déjà dit de balancer par la fenêtre tes lardons en plastique et d’enterrer ta crème fraîche, et maintenant je te dis de ranger tes spaghetti… c’est cruel.

Je te vois penser, un sourcil levé, que pourtant, le Clochard, bah il séduit la Belle grâce à des “spaghetti bolo”.

Oui mais non.

Et dire que tu avais presque compris comment cuire ta pasta al dente

Bon.

Si tu es prêt à entendre la vérité, si tu promets d’être patient et de mettre en œuvre tous les efforts nécessaires, je te garantis que ta vie va changer là-dessus. Tu vas goûter le plat originel, celui qui, de la Sicilia jusqu’au Trentino met tous les Ritals d’accord. Et en plus, je te laisserai être un peu créatif.

C’est pas beau, ça.

Oui parce qu’il y a une origine aux “Spaghetti Bolo” :

Le Ragù alla Bolognese (n’oublie pas l’accent sur le “ù”, hein).

Le rubis Italien. La meilleure manière possible de faire honneur à ce légume (fruit ?) que toute l’Italie vénère : Il Pomodoro (la tomate). Du rubis, je te dis.

Ici aussi je ne m’explique pas comment on est passé de ce plat si savoureux, qui chante l’Italie, a cette sorte de plat de nouilles à la viande hachée et aux tomates pas cuites.

J’ai cessé d’essayer de comprendre, ça me colle la migraine.

Le Ragù alla Bolognese, c’est donc la sauce. Comme son nom l’indique, ça vient de Bologne, en Emilie-Romagne.

Le coeur de la gastronomie Italienne. Et toi, tu vas le faire battre.

Tu ne peux pas la servir avec des spaghetti. Tu ne peux juste pas. C’est interdit. C’est comme ça.

Elle se sert avec des Tagliatelle, des Papardelle, ou des pâtes courtes comme les Mezze-Maniche, les Penne Rigate,… Mes préférées : les Tortiglioni ! Siiiiii… Mammamia que c’est bon !

Attention, on va monter de plusieurs niveaux d’un coup par rapport à la Carbonara.

Il faut des années d’expérience pour réussir parfaitement un Ragù. Il faut de la patience. Mais un jour le Ragù te le rendra au quintuple.

D’ailleurs c’est un des plats que seule la Mamma sait faire mieux que tout le monde. Les Italiens ne plaisantent pas avec le Ragù. Je pense même que c’est le sujet de dispute conjugale le plus répandu en Italie : “Celui de ma mère est meilleur que le tien, Dio Bono !

Bon ils ont tout faux, c’est bien entendu ma mère Giovanna qui fait le meilleur ragù alla bolognese de la Terre. C’est sans aucun doute le plat de pâtes le plus représentatif en Italie. Et tu sais pourquoi ? Parce qu’on le fait tous avec amore. Parce qu’on se sent porté par la grandeur de l’Italie toute entière quand on soulève le couvercle et qu’on voit ce magnifique Sugo rouge-orangé mijoter doucement et calmement. Parce que tout le monde aime. Parce qu’en Italie, toutes les cuisines sentent bon le Ragù.

Et bientôt dans ta propre cuisine. Alors, c’est parti.

Les ingrédients :

Petit a : Des tomates. Celles-ci. Des BELLES tomates. Bien rouges.

Alors, si tu n’as pas une Mamma qui durant l’été en ramène 100kg d’Italie pour ensuite les préparer avec passion et en faire des conserves (et ici, les Franco-Italiens savent de quoi je parle… on s’est tous cassé le bras à mouliner des tomates en Septembre), et bien, tu peux prendre des tomates pelées ENTIÈRES en conserve. Pas n’importe lesquelles. En France, les conserves Mutti peuvent faire l’affaire. Il va falloir les essayer et trouver tes préférées.

Petit b : Du concentré de tomate.

Petit c : De la viande hachée 100% pur boeuf.

Petit d : De la viande de porc. Moi j’aime bien la saucisse, mais il ne faut pas qu’elle soit aromatisée. Nature.

Petit e : Un oignon. UN SEUL.

Petit f : Du céleri. CHUT ! Je ne veux rien entendre, tu notes.

Petit g : Une carotte.

Petit h : Du sel, du poivre, du laurier, de l’Huile d’Olive extra vierge, du vin rouge, du Parmigiano Reggiano

Petit i : La Pasta. Allez, on prend tous son paquet de Tagliatelle Barilla (ou Voiello, pour les faillots) et on y va.

Il te faut minimum 1 heure devant toi. Le Ragù, ça se prépare avec beaucoup de patience, pour que tous les ingrédients puissent s’exprimer dans un concert harmonieux. Ouais, la recette est longue. Mais c’est un marathon de joie.

Seuls les vrais arrivent au bout. Mais après ce que tu as pris avec la Carbonara, je sais maintenant que tu es un vrai, toi.

Carotte, céleri, oignon. Tu coupes tout ça en petits cubes très petits, ça cuit mieux.

Tu prends une casserole et tu fais chauffer l’Huile d’Olive. Quand l’huile est bien chaude, tu mets les légumes et tu fais les fais bien cuire. Avec le laurier. Pour parfumer. A feu moyen.

Bon tu remues hein, on veut pas que ça brûle. Quand tu vois que c’est bien cuit, tu fais saisir la viande et la saucisse (que tu auras émiettée avant).

La viande doit presque devenir croustillante, donc surtout tu fais bien évaporer toute l’eau. SANS FAIRE BRÛLER. Tu remues (avec une cuillère en bois s’il te plait, j’ai la colonne vertébrale qui se raidit quand j’entends crisser ta fourchette contre la casserole, brrr)

Une fois que tout ça, ça sent bon, et qu’il n’y a plus d’eau, tu verses un peu de vin rouge et tu laisses évaporer tout ça joyeusement. Tiens, télécharge Volare de Domenico Modugno, ça fera plaisir à ton Ragù.

Une fois que tu ne voies plus de traces ni d’eau, ni de vin, tu mets une cuillère à café (ou deux, selon) de concentré de tomates. Juste ce qu’il faut pour bien aromatiser la viande et les légumes.

Puis ton pot de tomates (que tu auras bien mixé avant, faut vraiment que je te dise tout ?!).

Pas trop de tomates je t’en prie. Il faut juste COLORER la sauce. Ne pas noyer la pasta. Non. Jamais. Pour aucune raison.

CE N’EST PAS UNE SOUPE ! (Je t’ai pratiqué, BoloTroll, tu le sais.)

Tu laisses mijoter tout ça pendant une quarantaine de minutes… Ca va faire ploc-ploc et si tout va bien, et ta sauce prendra une magnifique couleur rouge-orangé, ni trop liquide, ni trop épaisse.

Tu remues de temps en temps. Tu surveilles. Comme un bébé.

Tu goûtes.

Oui cette fois je te laisse goûter, j’avais dit que je serai douce. Et tu ajustes de sel et de poivre.

Allez, là c’est facile tu connais la suite. Tu prends une grande casserole et tu mets l’eau à bouillir. Tiens, je te donne même les proportions exactes : 1/10/100. 1 litre d’eau pour 10 grammes de sel pour 100 grammes de Pasta. Avec ça si tu te plantes, franchement, laisse tomber, déménage en Italie et viens manger chez moi, ce sera encore plus simple.

Évidemment, cette fois-ci, tu ne t’es pas laissé avoir et tu as du gros sel (eheh).

Évidemment, tu ne mets toujours pas d’huile dans l’eau. Jamais, en fait.

Tu fais tout bien comme on a dit, tu remues tes tagliatelle de temps en temps et tu retires une minute au temps indiqué sur la boite. Si tu vois que ta sauce a trop réduit, ça marche aussi ici, hop ! Une petite lichette d’eau des pâtes dans la sauce.

Je me laisserais presque amadouer en te laissant goûter.

Mais j’ai peur que tu jettes ta tagliatelle contre le carrelage de ta cuisine. Je sais qu’on t’a dit de le faire. Cette personne te voulait du mal, vraiment. A toi, et à moi, et aux Italiens.

Il faut les dorloter tes tagliatelle.

Tu en prends une ou deux, 1m30 avant la fin de la cuisson.

Tu la touches. Elle doit être soyeuse.

Tu souffles doucement. Tu la regardes. Tu vois comme elle brille comme de l’Or ?

Tu la goûtes. C’est tellement bon que tu pourrais les manger comme ça, sans rien. Elle est al dente si elle résiste un peu sous la dent.

Je sais… Il te faut encore quelques essais.

Mais tu es sur la bonne voie, ne te décourage pas.

Tu égouttes tes tagliatelle et tu les remets immédiatement dans la casserole.

Et là, juste pour les colorer, tu prends une louche de sauce et tu la verses dans les pâtes. Tu remues pour que tes tagliatelle s’imprègnent bien.

AVEC UNE PINCE, tu les saisis et tu les déposes dans tes assiettes, et tu rajoutes de la sauce sur chacune d’entre elles.

Et pour terminer le chef d’œuvre, une bonne poignée de parmesan fraîchement râpé, comme ferait la Mamma, avec la main, un petit tourbillon de fromage qui se pose délicatement sur tes tagliatelle.

Je suis douce mais je ne suis jamais bien loin à te menacer de ma fourchette.

Regarde. Ca fond.

Là.

Là, tes ancêtres te regardent avec fierté.

Tu devrais voir le Colosseo dedans. Ou le Duomo de Firenze. Ou les Volcans de Sicile. Ou les ruelles de Parme et de Bologne. Ou les grands lacs Italiens. Ou les falaises du Gargano. Ou les collines Toscanes. Ou…

… Ca y est ! Tu es dans un film de Ettore Scola.

Tu as mis une serviette autour de ton cou, dans ton verre il y a ce bon conseil de Sand, et tu tournes tes tagliatelle le nez dans l’assiette.

Ca fait du bien ?

;-)

Mais de rien !

@flonot