L’Italie est belle parce qu’elle est d’une variété infinie. Elle est le patchwork coloré d’une terre aux 1000 identités.
Je viens du Sud, Valerio vient du Nord. Entre la Puglia et il Veneto, il y a un monde, il y a nos ingrédients, nos accents, nos mentalités, le soleil et la brume, la terre aride et l’eau, les pomodori et le radicchio. La semoule et le riz. Mais il y a les mêmes hommes et femmes qui portent le même amour intact envers leur terre, son histoire, ses joies, ses succès, son avenir. Et envers l’Italie.
J’ai demandé à Valerio de nous parler de Venise. La Serenissima. C’est un titre de noblesse. Parce qu’avant d’être gondoles et carnaval, Venise est avant tout un joyau d’une noblesse infinie. Oublie les clichés, ouvre grand les yeux et les papilles, tu ne vas pas en revenir.
A presto,
@flonot
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Floriana, tu m’as fait un cadeau empoisonné.
C’est un vrai piège que de vouloir écrire sur les restaurants vénitiens. Un piège délicieux, mais un piège quand même, parce que même sans avoir de prétention d’écriture particulière, écrire sur la Sérénissime, c’est toujours un peu inhibant.
Même pour parler Risi e bisi, quand il s’agit de Venise, j’ai un peu peur de tomber dans le grandiloquent, dans une verroterie du clavier. Ou dans le cheap, le cliché, l’anecdotique. Alors qu’il y a tant et tant à dire et à faire partager sur les lieux et les mets, comment ne pas gratter des dizaines de pages ?
Floriana, ton blog est une ôde joyeuse à une Italie éclatante de joie, de soleil et de mozzarella. All’allegria. Venise n’est pas tout à fait cela. Glissons-nous un peu dans l’ambiance. Et pour la route, je te conseille un livre plus que tout autre, “Venise est un poisson” de Tiziano Scarpa.
Tu n’arriveras pas à Venezia par un simple lien hypertexte, ni comme tu ne te rends à Roma, a Firenze ou à Napoli. Avant de goûter des recettes qui, sur le continent n’auront jamais le même goût qu’en lagune, avant de te jeter dans la première osteria venue, tu vas devoir changer de monde.
Alors oui, tu arriveras en train, en voiture ou en car, mais au dessus de l’eau, sous le soleil ou dans le brouillard, par le vilain ponte della Libertà. Ou mieux, en bateau. Et là, laisse couler dans un rio tout ton quotidien, oublie immédiatement les bruits de la ville que tu connais et écoute les murmures et éclats simples d’une ville sans voiture. Des bruits oubliés, le chant des talons et des chaussures sur le pavé, les cliquetis des charrettes des livreurs, les cris joyeux de gamins sortants de l’école, le murmure d’un bateau dans le canal. Inspire bien fort et ressent cet air chaud, humide et salé (ou froid et salé selon la saison, bien sur).
Venezia, c’est une ville faite de couloirs étroits et d’horizons larges. C’est l’Orient et l’Occident, la mer et la terre. La brique et la pierre. C’est onze siècles de puissance et d’indépendance.
Partout ailleurs en Italie, tu peux être joie et prosciutto, mozzarella et sorriso, légèreté et margherita. Ici, avant d’entrer dans la cuisine, pense aux obstacles que cette ville a surmonté, pour que tu puisses seulement être là où tu es, et pour que ces sarde in saor arrivent dans ton assiette.
Tout ce que tu vois, chaque pierre, chaque mur autour de toi, chaque fruit, légume ou viande rapporté au marché du Rialto a représenté des efforts en plus, des difficultés, un transport plus compliqué, des caisses à porter, des marchandises à charger et décharger.
Née des paludiers et des pêcheurs des eaux saumâtres de la lagune, fuyant à la fin de l’antiquité les invasions barbares déferlant sur l’Empire, la ville a hésité à naître à Torcello, avant de se poser sur les rives plus hautes du Rialto. Tournant le dos à cette Europe dévastée, la Venise naissante s’est tournée vers les mers. D’alliances en croisades, de trahisons en attaques, par la construction d’une flotte terrifiante, Venise a su faire peur. Elle a dominé la Méditerranée. Chypre, les Cyclades, la Dalmatie, la Crète, Corfou, une partie de la Grèce étaient siennes. Et le tout à partir d’une base continentale ridiculement étroite. Quelques dizaines de kilomètres à peine au delà de la lagune, Il Veneto – la Vénétie.
Venise a ramené dans ses filets tous les goûts de la mer. Les maraîchers de la lagune (va donc les découvrir aux Vignole ou à Sant’Erasmo) ont fait pousser des légumes superbes. La “terraferma” a apporté ses volailles, sa pasta, sa polenta (c’est le NORD, range tes tomates), son riz, son vin. Tout ça pour créer une cuisine savoureuse, mais peut être un peu plus âpre, rustique, que l’image que l’on peut avoir de la cuisine italienne en général.
A Venise, tu mangeras des “Cicchetti” (prononce-moi “TCHIKKETTI” correctement je te prie). C’est la version lagunaire des antipasti, que tu mangeras dans tous les bons “bacari”, les bistrots (un bacaro, des bacari, parce que dans une soirée vénitienne, le singulier ne suffirait pas). Et c’est une affaire sérieuse. La richesse de cette cuisine du quotidien est une liste à la Prévert : pinces de crabes frites, croquettes de viande ou de légume, demi œuf dur avec anchois, fritures de légumes, polenta et poulpe, Baccalà « mantecato », c’est-à-dire une morue cuite dans le lait et ensuite fouettée pour la rendre crémeuse. Toutes les sortes de poissons de l’Adriatique. Et les fameuses “sarde in saor« : sardines cuites et marinées avec des oignons et du vinaigre, des raisins secs et des pignons.
Et puis il y a un sandwich qui vient d’ici et qui n’a jamais le même goût ailleurs, le tramezzino, ce petit pain sans croûte rempli de plein de bonnes choses.
Tu accompagneras ces petites bouchées d’un spritz ou d’un verre de vin, un’ombra comme on dit ici.
Et si tu veux faire un vrai repas, tu mangeras des bigoli in salsa (gros spaghettis avec une sauce aux oignons et aux anchois, des pâtes al nero di seppia (à l’encre de seiche), du risi e bisi (riz et petits pois), du risotto au poisson, aux fruits de mer, à la volaille…. Des moeche, ces petits crabes en pleine mue à la carapace si tendre qu’on la mange, les petites crevettes grises de la lagune, le foie de veau à la vénitienne aussi…
En revanche, s’il est une ville où les adresses changent, où les merveilles d’un jour deviennent fast-food à touristes et réciproquement, c’est bien la Serenissima. Et certains lieux qui dans mon souvenir valent le coup ne sont pas forcément toujours aussi agréables. De toute façon, il n’existe guère plus de lieux sans touristes à Venise. Et les adresses étant écrites sur les nizioleti dans un sabir mêlant Italien et vénitien de façon assez aléatoire, qu’est ce qu’une adresse ? Elles sont composées de numéros (par quartier), de rues, de quais de places et autres noms spécifiquements vénitiens (calle, fondamenta, rio terra, piscina, campo, campiello…). Et puis tu peux très bien te nourrir de ciccheti et de planches de charcuterie ou de fromage (taglieri) au hasard des baccari, sans faire exploser ton portefeuille.
Mais je vais quand même te donner quelques conseils, en me promenant un peu dans les repas et les quartiers, comme le firent d’autres amis, une pensée en particulier pour Guillaume et Roberto. Mais tu devras chercher peu, c’est comme ça qu’on fait à Venise et c’est souvent l’occasion de trouver ce qu’on ne cherche pas.
Je vais commencer par un lieu au charme attachant. Il va falloir que tu cherches un peu pour trouver le campo del Remer. Sur le campo San Bartolomeo, celui qui est au pied du Rialto, côté San Marco, part vers le nord, vers la gare, par la Salizada San Giovanni. Juste après l’église San Cristomoso (toute en rose) qui est sur ta droite, une toute petite calle, insignifiante part à gauche entre un tabac et un restaurant. Tu vas te demander si tu ne te trompes pas, c’est donc que tu es probablement sur la bonne voie. Au bout des coudes et des sottoporteghi, tu tomberas sur une cour incroyable ouverte sur le Canal Grande. Un seul restaurant, un plafond voûté en briques, des poutres et une ambiance merveilleuse quand le piano ou le jazz résonne. Pour boire un verre ou manger, c’est très bien. On peut même prendre son verre pour aller le déguster au bord du canal.
Pour boire des spritz, un’ombra et manger des cicchetti, le Rialto, autour du campo dell’Erberia. Suivre l’ambiance. Descends un peu, et tu trouveras le campo Santa Margherita, avec tous ses bars d’étudiants, le Caffè Rosso.
Si tu es fauché, contente-toi de prendre un morceau de pizza al volo et de le manger sur la place. Si tu as quelques sous, l’Osteria alla bifora permet de manger de très bons taglieri dans une salle au style médiéval assez romantique.
Passe San Barnaba et va à San Trovaso pour trouver, face à l’église, il « Bottegon, Già Schiavi ». Mange encore des cicchetti, bois encore du spritz et tu pourras même repartir avec une bonne bouteille.
Te voilà arrivé sur les Zattere. Si tu ne vas pas prendre une glace chez Nico, je ne te parlerai plus. Et ne commande pas n’importe quoi s’il te plaît. Ici, on fait dans le Gianduiotto, une petite Turinerie émigrée en lagune.
Allez, passons de l’autre côté du Canal Grande.
Tu peux t’arrêter dans Cannaregio, au dessus de Strada nova, dans la Calle Larga Priuli Racheta, l’Antica Osteria Adelaide est un des plus vieux restaurants de la ville. Le patron, Alvise Ceccato, fait une cuisine vénitienne toute traditionnelle très agréable. Je garde un souvenir ému d’un dessert étonnant qu’il ne fait que rarement, un gâteau aux fraises et vinaigre balsamique.
Toujours à Cannaregio, un soir d’hiver dans la brume comme pour un brunch du dimanche le bord du canal, le Paradiso perduto, est un lieu festif, un peu bobo (ou radical-chic ?), un peu touristique maintenant, mais où l’on mange de grandes assiettes de fritto misto, de légumes grillés, de cicchetti et le tout souvent en musique le soir.
En redescendant, sur la calle Lunga Santa Maria Formosa, va donc boire un verre de Prosecco bio à la Mascaretta. Si le patron, un ancien conseiller municipal un peu excentrique et haut en couleurs est en forme, il sablera la bouteille dans une ambiance vraiment à part..
Promenons-nous maintenant loin de la foule de San Marco. Un de mes quartiers préférés, c’est Castello, autour de la via Garibaldi. Plein de petits bars. El Refolo est très sympa, tonneaux, taglieri, terrasse et spritz sur la rue. La trattoria Giorgione est très bien aussi. Au milieu des Giardini, une très belle serre accueille un très joli bar dont le nom m’échappe. Et si tu dois aller voir une exposition à la Biennale, quoi de plus rassasiant après des heures d’architectures ou d’art contemporain, qu’un beau plat de pâtes, au soleil, au bord de l’eau face au Bassin de San Marco, au Paradiso ?
Montons jusqu’aux Fondamente Nove, là où l’on apperçoit les îles du nord de la Lagune. Algiubagiò est un vrai coup de coeur pour le jour où tu auras quelque chose à fêter. Une cuisine vénitienne, contemporaine, savoureuse et imaginative, je ne suis pas prêt d’oublier les taglioni verdi au homard, à la marjolaine et à la fraise.
Si tu prends le bateau pour aller là haut dans la lagune nord, ne part pas sans avoir mangé un risotto de poissons ou de fruits de mer au Gatto Nero à Burano.
Tu vois, je savais que j’allais en écrire trop. Je m’arrête là. Les plus curieux pourront toujours m’en demander davantage. Et je vous laisse finir avec Guccini, rêver à cette ville que l’on dit mourante, mais qui séduira encore et toujours. Vous n’y êtes jamais allés ? Vous y reviendrez.
A presto,@ValerioMotta