Il y a des choses que je ne comprendrai jamais.
Soit je suis très naïve, soit j’ai toujours foi en l’Humanité et je me voile la face. On va dire que j’ai toujours foi en l’Humanité, sinon je me serais d’ores et déjà complètement pendue avec un spaghetto (tu te souviens « un panino, deux panini« , ça marche avec « un spaghetto, deux spaghetti »).
Alors. Tu sais que j’aime bien quand les plats racontent une histoire. Leur histoire. Et les plats de pâtes Italiens ont tous une belle histoire à raconter. Ils ne sont pas nés comme ça, hop, du jour au lendemain, par l’opération du Saint-Esprit. Ils sont sans doute touchés par la grâce d’une puissance surnaturelle pour être aussi merveilleux et célestes – certes – mais ils viennent de quelque part.
Donc. Quand je te vois prendre ce petit bijou de basilic. Et mettre n’importe quoi dedans. Et le tartiner sur tout ce qui te passe sous la main. Ou noyer la pasta sous une flaque de bouillie verdâtre-marron. Et prétendre que c’est un pesto alla genovese. Je pense à tous ces marins de Genova, au XIXe siècle. Tous ces ouvriers de la mer, se tuer à l’effort toute la journée, dans le bruit, dans le vacarme assourdissant des navires, dans la pauvreté, mais dans la gaité aussi. Les grosses tapes viriles sur les épaules brulées par le soleil, et la grande tablée en sueur où on se passe en chantant fort un énorme plat de pasta al pesto.
Genova.
Le port.
C’est comme ça que je l’imagine. Que j’aime l’imaginer.
Et je me dis que cette pasta, fort odorante du basilic de la riviera ligure, fumante, qui prend au nez, qui calme les faims les plus gargantuesques, ça devait être un sacré beau moment de répit. Comme cela devait être réjouissant dans une journée que pas un d’entre nous ne serait capable de subir aujourd’hui.
Peu de temps. Et peu d’argent. Mais des pâtes et du basilic cueilli par des petites mains dans la région. Du basilic perché sur les falaises et caressé par le vent marin de la Liguria – tra mare e monti. Parce qu’ils n’avaient quasiment que ça.
Un cadeau du ciel pour l’écume de la population.
Un tableau.
Et 200 ans après, je voue le même culte au pesto alla genovese.
Bien sûr, il pesto, c’est un plat où on peut mettre ce qu’on veut dedans au final. Il en existe autant qu’il y a de villages en Italie. On le fait avec ce que la terre veut bien faire pousser autour de nous. Pesto, du verbe pestare – écraser, piétiner. Alors, oui, effectivement, tu peux prendre du basilic et l’écrabouiller avec ce que tu veux. Mais tu n’as pas l’indécence déplacée de le présenter comme un pesto alla genovese, sinon ce sont les marins du port de Genova qui viendront hanter tes plus sombres cauchemars.
Je le sais, c’est moi qui te les enverrai.
Et maintenant. Devine quoi. Il pesto alla genovese. Non seulement c’est bon à en pleurer et à en croire l’existence de Dieu lui-même, mais en plus, c’est d’une simplicité… Mais d’une simplicité… Et d’une beauté… Comme si tu étais sur la via dell’amore, entre Riomaggiore et Manarola. Juste, là. On n’est pas bien, posés là, à regarder la mer s’écraser contre les rochers ?
Tu aurais envie de manger un pesto alla genovese trahi et travesti… ici ?
BIEN SÛR QUE NON.
Donc on va le faire ensemble, toi et moi. Et tu verras, ce n’est que du bonheur à l’Italienne.
Pour un authentique pesto alla genovese, il te faut :
Petit a : Du basilic. En branches. Frais. Magnifique.
Petit b : Du gros sel marin. Ben oui.
Petit c : Des gousses d’ail.
Petit d : Du parmigiano reggiano et du pecorino stagionato (pour le râper)
Petit e : Des pignons qui sentent bon le pin.
Petit f : De l’huile d’olive extra vierge. Tu prends celle que tu veux, même si c’est évidemment perfetto si tu prends celle qui vient de notre belle Liguria.
Petit g : Des pâtes.
A Genova, les trofie et les trenette sont les pâtes de prédilection pour le pesto alla genovese – la pasta tipica. Mais tu peux choisir des linguine, des bavette, des spaghetti aussi. Les trofie sont les seules pâtes courtes que je t’autorise. Il pesto est gorgé d’huile d’olive, il va mieux glisser sur la pasta lunga et être plus léger. C’est tellement meilleur.
Un truc pour que ton basilic garde bien sa couleur. Lave-le délicatement et plonge le dans un bain de glaçons, pour aider à fixer son joli vert.
C’est fragile, le basilic. Si tu le martyrises trop – genre dans un mixeur, il va perdre toutes ses bonnes choses, tu vas le GÂCHER.
ET JE N’AIME PAS, quand tu gâches ce que les marins avaient de plus précieux.
Et puis surtout, les lames agressives et méchantes du mixeur vont le chauffer, il va cuire, devenir sombre, mourir. Il pesto alla genovese, on le ne chauffe pas, on ne le cuit pas, on le verse directement sur les pâtes à peine égouttées.
C’est pour cette raison que tu vas utiliser un mortier en marbre.
Bon OK, si tu n’as pas un mortier en marbre comme les vieilles mamma de Genova, tu peux utiliser un mortier quelconque. Tu vois je suis sympa quand même. Tu effeuilles doucement le basilic et dans ton mortier tu mets le gros sel marin, l’ail, les pignons. Tu travailles tout ça avec amour à la force du poignet – en pensant aux marins qui ont besoin de réconfort – et petit à petit tu ajoutes l’huile d’olive par filet.
N’y passe pas des heures, plus tu travailles le basilic, moins il sera beau. Et tu veux qu’il soit beau. Tu seras tellement fier.
Puis tu mets ton parmigiano et ton pecorino. Ensemble. Sur la question du fromage, l’Italie t’accorde un peu de flexibilité. Tu peux remplacer le pecorino par de la ricotta tosta ou même du fromage de chèvre frais.
Et voilà.
Voilà, voilà.
C’est tout.
Si tu es malin, tu as même fait bouillir l’eau et tes pâtes sont prêtes quand tu as fini d’extraire du basilic toutes ses saveurs. Al dente. Tu verses directement sur les assiettes. C’est très parfumé, tu n’as pas besoin de noyer tes linguine. Juste les colorer. Tu décores avec quelques pignons de pin, une feuille de basilic frais. C’est rustique. C’est viril. C’est fin. C’est beau.
Tu chantes la Liguria.
C’est ma meilleure réponse à tous ceux que je vois faire des pâtes au ketchup parce que soi-disant c’est rapide.
Et c’est la fine del mondo. Quand tu manges un beau pesto alla genovese, la fin du monde peut bien arriver demain, tu peux partir en paix. Tranquille. Et plus tu regardes les vagues venir mourir sur les falaises de Manarola, plus tu as le visage caressé par le vent, comme le basilic, et plus tu entends les marins chanter joyeusement, au loin.
Je les entends aussi.
Buon appetito.
PS : Et pour faire plaisir à nos copains les marins, tu verses ce joli vin dans ton verre. Là, là c’est parfait. Grazie, Sand.